lundi 26 septembre 2011

Climate of hunter


1983 dans les bureaux de virgin.
-Bon les gars, on a un problème. Et un gros. Va falloir trouver une idée de pochette pour un disque dont on ne devrait tirer aucun bénéfice sauf celui du prestige de vouloir se tirer une balle dans le pied.
-Vous êtes sur de ce que vous avancez ?
-Affirmatif. D'ailleurs j'ai amené ici une copie de l'album en question pour que vous vous en fassiez une petite idée. Je l'aurais bien refusé mais on m'a dit en haut lieu que c'était hors de question.
-Vous savez pourquoi ?
-Il paraît que le gars est une vedette ultra connue des sixties, qu'il a été avec son groupe aussi populaire que les Beatles, que l'avoir signé redorerait le blason de virgin. Mais là, à l'écoute de sa galette, j'affirmerais sans trop me planter qu'on est quelque peu dans la merde. Il y a pas de tubes là-dessus, rien. A peine une chanson. Vous verrez, à la seconde plage, le gars des claviers est resté bloqué sur une note. Et la troisième, y aurait du potentiel mais ça décolle pas, ça évolue pas, y a un refrain certes mais ça vaut pas les petits gars que je viens de signer, simply red qu'ils se font appeler.Eux savent écrire des tubes, je peux affirmer sans me planter qu'on devrait se faire des couilles en or avec eux. Mais je voudrais pas vous influencer, écoutez, vous me direz ce que vous en pensez.
Il ouvre la platine, pose le disque. L'écoute commence. Une demi-heure passe. Climate of hunter se termine. En prêtant bien l'oreille on entend plus que les flatulences des drozophiles.
-Euhhh.................... là c'est clair qu'on est mal. Vous en avez pensé quoi vous autres ?
-Ben, on va pas se faire de thunes avec ce gars, ne nous faisons pas d'illusions.
-Musicalement, y aurait-il un pécore qui pourrait me dire ce qu'il en a pensé ?
-C'est clairement du caca. Ca groove pas du tout, la voix est trop mise en avant, les arrangements paraissent datés et certains effets sont ringards. En un mot comme en cent, ça vaut pas Simply Red.
-Merci pour votre point de vue. Y-a-t-il quelqu'un d'autre pour prendre la parole à propos de ce disque ?
Vous là-bas dans le coin : on vous entend pas, vous bougez à peine, si vous pouviez ne pas être là...
-Qui, moi ???
-Oui, vous !!
-Ok. Vous voulez mon avis ??? vous allez l'avoir. Ne nous voilons pas la face, on va pas faire de ventes. En revanche, contrairement à mon connard de collègue sur la droite, j'affirme haut et fort que Simply Red c'est du caca qui va certes nous rapporter du pognon mais qu'en matière de crédibilité on va y perdre. Manquerait plus qu'on récupère UB40 et là on tiendrait le pompon. Sinon pour tous les ignares présents dans cette salle Scott Walker a effectivement été une idole avec son groupe the walker brothers dans les années 60. Il a sorti par la suite quatre albums complétement différents de ce qu'il produisait avant. Cet album que vous venez d'entendre, c'est un putain de chef-d'oeuvre à côté duquel vous allez tous passer bande de branleurs. Les arrangements ne sont pas datés bien au contraire, ils sont intemporels et au service d'une voix magnifique. Ce mec c'est the voice. Presley et Sinatra sont des petits joueurs à côté de lui. Sa démarche est radicale certes mais il arrive à faire sonner ses invités comme personne. Vous avez vu ?? Billy Ocean est excellent et même l'autre endive de Knopfler sonne comme du Walker et pas Dire Straits. Rien que pour ça je dis qu'il devrait être déifié ce mec. Climate of hunter est un disque exigeant, qui ne prend pas ses auditeurs pour des cons, évite toute facilité. Alors évidemment il y a pas de mélodies évidentes, de trucs à fredonner sous la douche, pas de refrains qu'on retiendra dès la première écoute mais une atmosphère unique qui, mais ça ne reste que mon point de vue, passera les années sans perdre une once de mystère. Vous jouez en effet votre crédibilité en ne le sortant pas. Il est des disques dont on sait pertinemment qu'ils deviendront culte sans faire de vente. Scott Walker fait parti de cette catégorie d'artiste, ça vous défrise probablement la chicorée mais ce n'est pas de ma faute si vous n'êtes qu'une bande de mécréants attirés par le pognon tel des mouches par la merde. On parle pas fric là on parle musique. On parle même de création, d'image.
-Ok, ne nous énervons pas. Ce sera tout ? Bon on va tout de même passer à ce qui nous intéresse, à savoir la pochette.
Vu la musique un pendu ça serait de circonstance non ? Un truc morbide, je sais pas moi, un zombi bouffant un vinyle marqué Scott Walker dessus. Ou alors un truc chiadé, hyper stylisé, un paysage dans la brume d'où émergerait une main ensanglantée et au-dessus il y aurait marqué climate of hunter en lettres rouge sang.
-Mais putain vous en tenez une couche !! Vous avez écouté l'album oui ou merde ??!!! C'est un truc sobre, sombre, exigeant, quelque chose dans lequel on nous invite à rentrer, qui demande une attention particulière. On est pas chez Iron Maiden ou Scorpions là. Il faut une photo, simple...
Bon ça va........ virez moi ce gusse... il commence à me courir sur le haricot avec ses théories fumeuses sur la musique. La musique c'est un produit, une marchandise. On se doit de faire du profit avec. Ca s'arrête là. Si vous voulez travailler dans l'industrie musicale, prenez un instrument n'importe lequel et faites des notes avec de façon plus ou moins harmonieuse. Après, tout est affaire de commerce. Point barre. Fin du brainstorming, rentrez chez vous, merci.

N'empêche. Je ne sais pas comment s'est déroulé la première écoute du climate of hunter chez virgin mais j'imagine très bien la gueule des commerciaux découvrant cet ovni. Une tête de trois pieds de long, en train de s'arracher les cheveux pendant l'écoute, en se demandant comment ils vont arriver à vendre ça.
Pour tout dire, je l'ai retrouvé dans ma discothèque, dépoussiéré, enlevé les moisissures, remis sur la platine et pris une bonne claque. La production sent en effet les années 80 avec ce son de basse pourri, slappé mais la voix de Walker, imposante, impériale colle un paquet de frissons monumental et le contenu est intemporel. Climate of hunter est barré, beau, expérimental, il enterre définitivement les années pop et sert de transition afin de préparer la population ébahie au radical tilt à venir une bonne dizaine d'années plus tard. Mais c'est une autre histoire que je vous narrerai une prochaine fois.

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